M. Cicchini u.a. (Hrsg.) : Le Nœud gordien. Police et justice: des Lumières à l’État libéral (1750–1850

Cover
Titel
Le Nœud gordien. Police et justice: des Lumières à l’État libéral (1750–1850)


Autor(en)
Cicchini, Marco; Denis, Vincent
Reihe
L’équinoxe: collection de sciences humaines (14)
Erschienen
Chêne-Bourg 2017: Georg éditeur
Anzahl Seiten
368 S.
von
Philippe Hebeisen, Université de Neuchâtel (Suisse) / Université Paris IV-Sorbonne

Ce nouveau volume de la collection dirigée par Michel Porret présente des travaux qui se situent au croisement des recherches menées par l’équipe Damoclès (Université de Genève) et de celles conduites sous l’égide du programme Syspoe (Systèmes policiers européens, XVIII e-XIX e siècles) qui a été mené en France entre 2012 et 2016. Les textes réunis dans ce livre proviennent dans leur grande majorité du colloque éponyme organisé à l’Université de Genève, en 2014, avec le soutien de l’International Association for the History of Crime and Criminal Justice (IAHCCJ). Toutefois, une bonne moitié des présentations faites alors a été retranchée de l’édition présentée ici, des contributions ont été fusionnées et le tout augmenté notamment d’une introduction et d’une postface ad hoc. Les articles retenus ont été répartis en trois parties canoniques – Normes, concepts et principes; acteurs et institutions; pratiques – dont les contributions concernent essentiellement les contextes français, anglais, italien et espagnol. Dès lors, ce sont véritablement les textes d’introduction et de conclusion, nés sous les plumes de Marco Cicchini et de Philippe Robert, qui donnent à l’entreprise collective présentée ici toute sa cohérence et son surplus d’âme.

L’ouvrage se propose d’interroger les soubassements théoriques, pratiques et institutionnels des relations entre police et justice, institutions fondamentales de l’État de droit, dans un cadre chronologique volontairement limité, du temps des Lumières à l’avènement de l’État libéral, soit la période 1750–1850, qu’on devine charnière. Pour filer la métaphore, c’est un nœud gordien imparfaitement dénoué ou pas totalement défait et en éternelle recomposition que Marco Cicchini analyse dans le détail, dans une temporalité large, bien que le cœur de sa réflexion porte essentiellement sur les années 1750 à 1820–1830. Il démontre ainsi que le grand partage institutionnel consacré par la Révolution française, distinguant clairement la police de la justice, n’est toujours pas totalement achevé tant les deux institutions sont irrémédiablement liées par leur nature, l’action de la première précédent théoriquement toujours celle de la dernière. La pratique, elle, s’avère plus complexe, tant du point de vue des relations et des interactions que ces deux autorités entretiennent que de leur organisation interne, mouvante jusqu’à aujourd’hui, ne serait-ce que par la multiplication des corps de police eux-mêmes. De fait, les sphères judiciaires et policières ne cessent de se redéfinir, de se remodeler et de se repenser au fil des époques et des nouveaux défis, ce que les directeurs de ce volume rappellent fort à propos. Dans la foulée, le corpus exemplifie ce que l’introduction synthétise, soit l’histoire de la judiciarisation de nos sociétés occidentales, de l’affirmation du droit et de sa codification à sa mise en pratique et en scène, jusqu’à l’émergence du concept de police et à la séparation institutionnelle l’une de l’autre, émancipation progressive dont les prémices se situent déjà avant la période charnière étudiée, comme cela est rappelé notamment pour le cas de la police. Sous une plume agréable à lire, le lien est fait avec la formation et l’affirmation de l’État souverain, un État de droit, tandis que les modalités diverses et variées de ces cheminements, tout comme certaines résistances au changement, sont éclairées au travers des articles sélectionnés dont les apports les plus significatifs sont intégrés à la démonstration introductive.

Étant donné la qualité du propos, toujours présenté pièces à l’appui, et au-delà des querelles de chapelle, on regrettera peut-être l’absence de l’un ou l’autre chercheur spécialiste de la gendarmerie – Clive Emsley mis à part –, un chantier de recherche qui s’est révélé particulièrement fécond au cours de ces dernières années et dont les travaux auraient peut-être permis d’éclairer certains aspects d’une lumière différente ou du moins de les questionner. On pense notamment à l’institutionnalisation de la police judiciaire, à son exercice et à sa délégation à différents corps de l’État, construction qui a été très lente à se mettre en place dans certains systèmes policiers, helvétique et belge par exemple, pour n’aboutir qu’à la fin du XIX e siècle, voire au début du XX e siècle. Mais cet aspect de la question dépassait évidemment largement le cadre du colloque, qu’il fallait bien délimiter.

Pensé et voulu aussi comme un outil de réflexion permettant d’interroger la période actuelle, ce n’est pas le moindre des mérites de cet ouvrage que de rappeler que cette séparation des pouvoirs, qui a mis tant de temps à se mettre en place, fût-ce imparfaitement, est aujourd’hui mise à mal par les réponses – politiciennes – données au terrorisme, et pas uniquement en France. Comme le montre très bien le contrepoint du sociologue Philippe Robert, la menace terroriste affaiblit aujourd’hui grandement la séparation des pouvoirs, encore consubstantielle de nos démocraties. En effet, l’instauration de mesures d’exception, dans le sillage de l’état d’urgence, puis la pérennisation dans le droit commun de certaines d’entre elles, nuit gravement à la démocratie, tandis que d’autres dispositions permettent l’extension outre mesure de certains pouvoirs policiers, au détriment de la justice ou de son exercice. À l’image du coup d’épée que le conquérant macédonien a jadis asséné au nœud gordien, le terrorisme et les mesures qu’il engendre mettent à mal un équilibre institutionnel déjà fragile, voire ténu, que l’homme avait pourtant mis des siècles à forger.

Zitierweise:
Hebeisen, Philippe: Rezension zu: Cicchini, Marco; Denis, Vincent (dir.), avec la collaboration de Porret, Michel et Milliot, Vincent : Le Nœud gordien. Police et justice: des Lumières à l’État libéral (1750–1850), Chêne-Bourg, 2017, zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (1), 2020, S. 137-138. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00054>.

Redaktion
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in

Weitere Informationen
Klassifikation
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit